Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LA FEMME SÉPARÉE

croyait qu’à ce qu’elle pouvait toucher de la main, qui n’estimait nullement le pouvoir qui pesait sur elle, une femme qui ne croyait à rien, qui n’aimait rien, qui n’espérait rien.

Lorsqu’il parut pour la première fois en ma présence, il me fit l’effet d’un des martyrs chrétiens devant une de ces impératrices romaines qui ne connaissaient que le jeu, l’amour des sens et les orgies, — d’un martyr condamné à être crucifié ou jeté en pâture aux lions du cirque. Et moi…

— Vous avez, sans doute, fini aussi par le crucifier ? dis-je sèchement.

— À peu près, repartit-elle aigrement. Mais, à cette heure, son regard luisit comme un rayon de soleil dans mon âme et y éclaira tout un printemps.

Je relevais d’une grave maladie durant laquelle le comte m’avait abandonnée sans adieu et sans motifs. Il ne m’avait ni dit un mot, ni laissé une ligne. Un abattement immense, une douce mélancolie s’étaient emparés de moi — et lorsque, toute tremblante, je rougis et baissai involontairement les yeux sous son regard, j’apparus à Julian pure et innocente. Et réellement, j’étais encore pure ; mon cœur n’était pas plus instruit de l’amour que le cœur de mon enfant. Toutefois, lorsque Julian vint nous voir dans la même après-midi avec Aaron, il me trouva si changée qu’il ne sut plus à quoi s’en tenir à mon égard.