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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/132

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leur disais-je, viendront-ils labourer avec vous comme vous labourez maintenant avec vos bœufs ? À tout hasard, prenons rendez-vous pour ce soir au cabaret.

La nuit arriva. J’ai déjà dit que l’hiver était rude, à peu près comme cette année, et qu’il était tombé beaucoup de neige depuis quelques jours. Plus de routes, plus de chemins, les forêts seules se détachaient comme des murailles noires dans la nuit blanche et claire. Nous étions réunis à l’auberge, et chacun avait apporté son fléau ou sa faux redressée. Sur le minuit, je pris avec moi une troupe de paysans pour faire la patrouille. « Tenons ferme, leur disais-je pour les rassurer, et nous n’aurons rien à craindre de ces rebelles. » Là-dessus arrivaient déjà plusieurs traîneaux avec des nobles et des fermiers et d’autres gredins qui se rendaient tous au château. En nous apercevant, ils arrêtent, et l’un d’eux nous crie de faire cause commune avec eux, que la révolution a éclaté, que le paysan est libre et la robot abolie, enfin qu’on nous livre les caisses impériales et les Juifs. « Il n’y a point de traître ici, répliquai-je d’une voix éclatante ; nous restons fidèles à Dieu et à l’empereur. » Je n’avais pas fini que déjà les Polonais tirèrent sur nous ; je reçus plusieurs grains de plomb dans le corps, un paysan eut une balle dans le pied. « Hardi ! criai-je, hardi, camarades ! en avant ! » Nous courons sus aux Polonais, nous les arrachons de leurs traîneaux et les faisons tous prisonniers ; un seul d’entre eux, qui voulut résister, reçut de moi un coup sur la tête, il n’y eut pas