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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/141

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gesse, dit-il enfin, se résume dans ces mots : renoncer, souffrir, se taire. Et ne vous étonnez pas si je n’ai pu oublier cette Catherine. L’amour ne se raisonne pas : il supporte tout et il résiste à tout, à la raillerie, aux coups, à la cruauté et à l’indifférence ; le temps, qui détruit tout, ne peut pas le détruire.

— Vous auriez fait un excellent mari, dit le centenaire après une pause. Pourquoi ne vous décidez-vous pas à prendre femme ? Chacun serait heureux de vous donner sa fille avec du bien au soleil et des deniers comptants.

— Comment pourrais-je me marier ? repartit Balaban. Pour la première fois, je viens de vous parler à cœur ouvert ; vous me connaissez à présent : puis-je aimer une autre femme ? et, si je ne l’aime pas, à quoi bon une femme ?

— À y regarder de plus près, tu as raison, ajouta Kolanko ; d’autant que tout passe avec le temps !

— Tout ne passe pas ! dit le capitulant avec un beau regard lumineux… Et pourtant, ajouta-t-il un moment après en soupirant, vous avez dit vrai. Même nos sentiments s’affaiblissent ; ce qui d’abord nous a fait de la peine nous réjouit presque plus tard. C’est une triste découverte lorsqu’on se dit enfin : Ce que tu éprouves ne doit pas durer. Ai-je assez pleuré quand j’ai enterré mes parents ! Et maintenant il m’arrive de rêver que je bois de l’eau-de-vie avec mon père, et qu’il est gris… Qu’en pensez-vous ?… Ou bien savoir d’avance que ce qui est aujourd’hui ne sera peut-être plus l’année prochaine ! Tout passe, comme ces nuages qui disparaissent au couchant,…