Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à levier dessinaient leurs maigres charpentes, et la petite rivière y cheminait avec un cortège de mares qui étincelaient dans la nuit.

Un beau chat blanc traversa le jardin, franchit le mur, et alla se promener avec de petits miaulements sur le bord de l’étang, que des lentilles d’eau couvraient d’une nappe de dentelle verte où flamboyaient des nénufars blancs et jaunes ; puis, le long des roseaux, il s’achemina vers la forêt, qui semblait enveloppée dans une gaze d’argent. Dans les buissons, les rossignols chantaient ; il y en avait un dans le jardin, tout près de moi, dont les sanglots avaient une pénétrante douceur. Malgré le feuillage touffu qui arrêtait les rayons au passage, l’herbe semblait lumineuse, et les fleurs du jardin brillaient comme des feux de couleur ; chaque fois que la brise agitait les feuilles, des traînées d’argent fondu couraient sur le gazon, sur les sentiers, sur la haie de framboisiers sous ma fenêtre. Les coquelicots prenaient feu, les melons luisaient comme des boules d’or dans leurs parterres, le lilas se transformait en buisson ardent, et des noctiluques en jaillissaient comme des étincelles ; un parfum enivrant se mêlait à l’odeur du foin que la brise apportait des prés.

La nature sommeillait sous les chastes rayons de l’astre des nuits et semblait chercher son expression. L’eau murmurait toujours, l’air agitait les feuilles, les rossignols continuaient de sangloter, le cri-cri bruissait dans l’herbe, le ver faisait toc-toc dans le bois, sur ma tête les hirondelles jasaient dans leurs nids.