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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/153

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Voilà pourquoi il a tant de souci de se continuer par d’autres créatures auxquelles il lègue ses joies, et qui n’héritent que de ses luttes et de sa misère. Comme il les chérit et les soigne, ses héritiers ! Et autant il est ingénieux pour assurer et prolonger son existence à lui, autant il est peu scrupuleux à piller, à mettre en question celle des autres. C’est un combat éternel, tantôt sans bruit, de foyer à foyer, tantôt terrible dans le fracas des batailles, toujours sous quelque drapeau trompeur, toujours sans pitié, et sans fin.

Et pourtant c’est toi, austère renoncement, c’est ta paisible sécurité qui est le seul bonheur donné à l’homme : le calme, le sommeil, la mort ! Pourquoi néanmoins redoutons-nous tant l’instant qui met fin à toutes nos douleurs ? Pourquoi la petite lampe tremble-t-elle follement chaque fois que l’effleure le souffle glacé du néant ? Ne plus vivre, ne plus se souvenir ! horrible cauchemar d’une nuit sans sommeil ! Toutefois cette peur n’est pas sans remède : elle cède quand les clartés froides, mais non pas mornes de la pensée nous éclairent la nuit et l’abîme. La nature ne nous est point hostile ; elle nous montre toujours le même visage froid, sévère, maternel, et tend ses mamelles au fils ingrat qui l’a reniée, à ce fils qui est maintenant suspendu entre la terre et le ciel comme le Faust polonais[1].

Je me déshabillai lentement, et, après avoir exa-

  1. Twardofki. Enlevé par Satan, au moment où il passa au-dessus de Cracovie, il entendit sonner l’Angelus, et entonna une hymne en l’honneur de la sainte Vierge que lui avait autrefois en-