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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/158

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yeux qui vous interrogent. Ivan, le vieux valet de ferme, ne passe jamais sans la prendre sur son bras pour la caresser.

Un jour, debout sur le perron, elle entend par la fenêtre ouverte sa mère qui cause avec un visiteur, un jeune propriétaire des environs, fort élégant et bien vu des femmes. « Elle est vraiment jolie, la petite, disait le jeune homme ; elle fera tourner toutes les têtes. » Olga comprit qu’il était question d’elle. Rouge de plaisir, elle s’enfuit dans le jardin, cueillit des fleurs qu’elle piqua dans ses cheveux, et alla se mirer dans l’eau d’un petit bassin, se promettant de ne pas faire mentir le prophète.

Les soirs d’hiver, entre chien et loup, on se groupait autour du grand poêle vert, et la bonne nourrice Kaïetanovna faisait des contes, enfoncée dans le vieux fauteuil noir où les enfants avaient vu mourir leur grand-père, et qui leur inspirait depuis lors une vénération mêlée de terreur. À mesure que la nuit se faisait, le visage de la nourrice disparaissait, on ne distinguait plus que ses yeux bleus qui brillaient dans l’obscurité ; les enfants se serraient alors contre son fauteuil, n’osant parler ; Olga posait la tête sur les genoux de la nourrice, fermait les yeux, et les contes se changeaient pour elle en réalité. C’était toujours elle, la belle tsarevna qui traversait la mer Noire sur un cygne, ou qu’un cheval ailé portait dans les nuages, et nul autre que le tsarevitch n’avait le droit d’aspirer à sa main. Un jour qu’elle entendit raconter comment le lourdaud Ivass avait épousé la fille du roi, elle se redressa tout d’un coup pour pro-