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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/18

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Le tronc pourri commençait à émettre une lueur phosphorescente, dans laquelle devenait visible un monde de plantes parasites et d’insectes laborieux. Je songeai. Les images du jour défilèrent devant moi comme ces bulles qui naissent et disparaissent à la surface d’un cours d’eau, je les contemplais sans terreur et sans joie. Je voyais le mécanisme de la création, je voyais la vie et la mort associées et se transformant l’une dans l’autre, et la mort moins terrible que la vie. Et plus je m’abîme en moi-même, et plus tout ce qui m’entoure devient vivant et me parle et arrive à moi. — Tu veux fuir, pauvre fou, tu ne le peux pas, tu es comme nous. Tes artères battent à l’unisson des artères de la nature. Tu dois naître, grandir, disparaître comme nous, enfant du soleil, ne t’en défends pas, il ne sert de rien…

Un bruissement solennel courut dans les feuilles, sur ma tête les lampadaires éternels brûlaient dans leur calme sublime. Et je crus voir devant moi la déesse sombre et taciturne, qui sans cesse enfante et engloutit ; et elle me parla en ces termes :

« Tu veux te poser en face de moi comme un être à part, pauvre présomptueux ! Tu es la ride à la surface de l’eau qui un moment brille sous les rayons de la lune pour s’évanouir ensuite dans le courant. Apprends à être modeste et patient et à t’humilier. Si ton jour te semble plus long que celui de l’éphémère, pour moi, qui n’ai ni commencement ni fin, ce n’en est pas moins qu’un instant… Fils de Caïn, tu dois vivre, tu dois tuer ; comprends enfin que tu es mon esclave et que ta résistance est vaine. Et bannis cette crainte puérile de la mort. Je suis éternelle et inva-