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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/189

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plaintif adagio, Vladimir cacha ses yeux dans sa main. Tout le charme magique que l’astre des nuits répand sur un paysage d’été semblait descendre sur eux et les envelopper dans ses ombres noires et sa mélancolique lumière. Leurs âmes flottaient entraînées par cette langoureuse, douloureuse mélodie. Quand le dernier son expirait dans l’air, Olga laissa retomber ses mains lentement. Ni l’un ni l’autre n’osait parler.

― Renoncement, résignation, dit enfin Vladimir, voilà ce que nous enseigne cette étrange sonate, voilà ce que tout nous enseigne, la nature, le monde où nous vivons. L’abnégation du cœur ! Que ce soit un amour méconnu qui garde sa foi sans se plaindre, ou un amour qui se condamne au silence éternel, nous devons tous apprendre à nous résigner. ― Ses yeux paraissaient humides, sa voix avait une douceur inaccoutumée.

Il resta quelque temps sans revenir. Olga le comprit.

Puis un jour son mari alla seul à Kolomea pour y faire des emplettes. Elle sentait que Vladimir viendrait ; à tout moment son cœur s’arrêtait dans sa poitrine. Quand les ombres du crépuscule entrèrent dans sa chambre, elle s’enveloppa dans sa kazabaïka et alla se mettre au piano. Elle essaya un prélude, puis, n’y tenant plus, termina sur une dissonance, se leva, défit sa pelisse, qui l’étouffait, et arpenta le salon, les bras croisés, fiévreusement.

La porte s’ouvrit, Vladimir entra. Elle rougit, ferma sa kazabaïka et lui tendit la main.