Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du paysan et la compagne de ses enfants. Tu la rencontreras dans beaucoup de maisons, et l’on dit qu’elle porte bonheur.

— C’est la vérité, dit Nikita.

Les deux couleuvres s’étaient dressées sur leurs queues et avaient plongé leurs petites langues fines par-dessus le bord de la jatte dans le lait, qu’elles mangeaient avec tant d’empressement que les marmots commençaient à craindre pour leur souper. L’aîné souleva d’un air délibéré sa cuiller et en donna une tape sur la tête du serpent qui buvait près de lui ; le serpent se retira, se tapit sans trop de frayeur, regarda autour de lui avec ses petits yeux noirs pleins de malice, puis, passant derrière l’enfant, il alla s’attabler à côté du plus jeune, qui semblait lui inspirer plus de confiance, et se remit à boire.

— Une véritable idylle ! fit le comte.

Il ne cachait pas le plaisir qu’il goûtait à se voir entouré de ces braves gens, et je subissais moi-même l’influence de ce milieu calme et exempt d’orages ; j’eus à ce moment comme une vision lointaine du vrai bonheur.

Marcella était assise un peu à l’écart ; elle filait et ne paraissait pas faire attention à nous.

— Regarde-la maintenant, me dit le comte. Je ne comprends pas comment j’ai pu comparer un instant cette beauté spiritualisée à la Fornarina ; c’est qu’il faisait déjà nuit. Aujourd’hui elle me rappelle un autre tableau qui exprime admirablement la sublime sainteté d’une nature féminine