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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/251

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en souriant. Tu ne comprends donc pas cette affection calme et sereine, exempte de doute, qui est la conviction intime que deux êtres ont été créés l’un pour l’autre, que rien ne peut plus les séparer ? Quand je plonge mon regard dans ses grands yeux bleus, d’un calme si profond, j’éprouve une sensation comme si le soir, au cœur de l’été, j’étais couché sur le dos, dans mon champ, le regard perdu dans l’océan d’azur au-dessus de moi, que voile à peine une vapeur lumineuse, — et la caille chante, et à côté de moi les gerbes s’inclinent comme endormies… L’âme s’apaise, le doute s’évanouit ; on croit tout à coup se comprendre soi-même, la vie paraît si simple, ce monde n’a plus de mystères pour nous ; toute lutte et toute contradiction se résolvent en paix et en clarté…

VI

Il me faut maintenant l’accompagner tous les soirs à Zolobad. Il évite d’être seul avec elle. L’harmonie est troublée. Marcella l’aime ; mais elle lutte contre cet amour avec l’énergie indomptée d’une nature vierge, et ainsi ce qui est sa joie à lui et son espoir devient pour elle une souffrance, un tourment. À voir la tournure que prennent les choses, on dirait que cela finira mal, comme dans la chanson. Ce n’est pas là le bonheur, encore moins un jeu ; c’est la lutte de deux fortes natures, dont l’hostilité s’accroît de la conscience que chacune a de la puissance de