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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/277

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prendre. Un soir, j’entre chez elle sans être aperçu. Notre bébé n’avait encore que dix-huit mois ; je le vis debout sur une chaise dans sa petite chemise, riant et gambadant des pieds et des mains ; ma femme était à genoux devant lui, les mains croisées et le regardait, et son visage rayonnait. Ce fut comme une révélation ; je compris tout à coup la Madone du Correggio, cette madone qui adore l’enfant, et ce tableau merveilleux est devenu pour moi le symbole le plus pur de l’humanité. En effet, quoi de plus humain et de plus touchant qu’une mère en adoration devant son enfant ? Voici les énigmes de la vie toutes résolues : plus de lutte contre la nature, car c’est la nature elle-même qui s’offre. Nous existons, nous vivons pour transmettre la vie. Aussi aucune horreur, aucune tristesse n’est comparable à une mère qui perd son enfant ! — Le comte se tut, et s’absorba dans ses réflexions.

— Nous sommes si heureux dans nos enfants, dit-il après une pause, et en tout ! Je ne me rappelle pas la plus petite mésintelligence qui ait troublé notre tranquillité. Pourtant l’ange de la mort nous a effleurés un jour du bout de son aile, et ma femme a failli mourir pour moi. Ç’a été un avertissement pour nous rappeler la fragilité du bonheur terrestre. C’était dans ces temps troublés de la révolution polonaise. Un jour, M. Jordan, que tu connais peut-être, se présenta chez moi avec un autre propriétaire polonais ; ils prétendaient percevoir l’impôt au nom du comité national. Ce n’était pas assurément pour les quelques sous, mais j’envoyai ces