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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/50

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piaffait lorsqu’elle lui tapait sur le cou. Je lui appris encore à manier un fusil ; j’en avais un petit avec lequel j’avais tiré les moineaux quand j’étais enfant. Elle le jetait sur l’épaule, allait dans les prés, tirait les cailles, oh ! dans la perfection. Voilà qu’un autour vient de la forêt, ravage la basse-cour, enlève à Nicolaïa justement sa jolie poule noire à huppe blanche. Je le guette longtemps, ah bien oui ! Un jour, je reviens du champ où on lève des pommes de terre, ma badine à la main ; le voilà. Il crie encore, tourne au-dessus de la cour. Je lance une imprécation, — Paf ! Un battement d’ailes, et il roule par terre. Qui avait tiré ? C’était ma femme : — Celui-là ne me volera plus rien, — et elle va le clouer à la porte de la grange.

Ou bien c’est le facteur[1] qui déballe à grand bruit : tout est bon teint, tout est neuf, tout au rabais, et il vend à perte ; il faut voir comme elle sait marchander ! Le Juif ne fait que soupirer : — Une dame bien sévère ! dit-il ; cependant il lui baise le coude. — Puis je vais faire un tour à la ville : j’y rencontre la femme du staroste[2], qui a une robe bleue mouchetée de blanc ; c’est la dernière mode à coup sûr ; je rapporte une robe bleue mouchetée de blanc, et Nicolaïa rougit de plaisir. Une autre, fois je pousse jusqu’à Brody, je reviens chargé de velours de toutes les couleurs, de soieries, de fourrures,

  1. Toute maison seigneuriale a son agent israélite, son factotum ou juif familier, c’est le « facteur ».
  2. Ancien titre polonais qui est resté au bailli du cercle autrichien.