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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/73

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Souvent je me figurais que notre amour s’était incarné en eux : il courait là devant moi, gambadait, riait ; c’était comme un rêve. Puis je veux qu’ils m’aiment plus que leur mère, qu’ils n’aiment que moi. Je les fais sauter sur mes genoux près du feu, leur apprends des contes de fées, leur chante les refrains des rues, leur raconte des histoires de chasseur.

C’était vraiment singulier. Je ne vous ai pas dit qu’il était venu un troisième enfant, une fille, le portrait vivant de sa mère. On dit ordinairement que les filles tiennent du père, les fils de la mère ; eh bien ! ce n’est pas ce que j’ai observé. L’aîné, c’est le grand-père ; le cadet, je ne sais qu’en faire : ma femme l’aura pris dans un roman. Ni l’un ni l’autre n’a rien de la mère ; c’est sa fille qui lui ressemble. Peut-être qu’alors elle ne songeait qu’à elle-même, à sa vengeance… Donc la petite s’attache à moi avec une tendresse, — elle savait pourtant que je la détestais. Quand je racontais une histoire, elle s’approchait timidement, se mettait sur un petit banc dans le coin obscur, écoutait, et on ne voyait que ses yeux qui brillaient. Parfois je la rudoyais, et elle tremblait. Quand je partais, elle me suivait du regard, immobile ; quand j’arrivais, elle courait au-devant de moi, puis s’effrayait de ce qu’elle avait osé. Un jour mon aîné dit : — L’ours finira par dévorer le père ; — la petite bondit, elle avait les yeux pleins de larmes. Je m’imaginais alors que c’était ma femme qui venait à moi, qui me demandait pardon et qui pleurait. — Une fois j’appelai la petite, elle