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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/80

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FRINKO BALABAN


I

Celui qui, porté par un frêle esquif, glisse sur la mer calme et sereine, laissant l’élément liquide jouer avec lui, pendant que les contours diffus des côtes s’évanouissent peu à peu dans un voile de brume et que son regard rêveur sonde l’océan aérien au dessus de lui, celui-là me comprendra peut-être quand je parle de la plaine galicienne, de cet océan de neige à travers lequel vous emporte en hiver le traîneau fugitif. Comme l’onde, la plaine attire l’âme et la pénètre d’une mélancolique langueur. Pourtant l’allure du traîneau est vive et leste comme le vol de l’aigle, tandis que la barque roule dans l’eau comme le canard qui s’enlève pesamment. La couleur aussi de la plaine sans bornes est plus sombre, et son langage plus morne, plus menaçant ; c’est la nature implacable qui s’y montre sans voiles, et la mort y semble plus près de vous, elle vous effleure du bout de son aile, on entend frémir dans l’air ses mille voix.