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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/88

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brouillards sont tombés à terre comme des tas de gravois. Où sommes-nous ?

Autour de nous, tout a été enseveli ; nul vestige de la route, nulle croix de bois pour nous l’indiquer. Les chevaux enfoncent jusqu’au poitrail ; la voix de la tempête expire au loin. Nous arrêtons, avançons de nouveau ; le Juif balaie le dos de ses bêtes avec le manche de son fouet. Deux corbeaux passent, silencieux, remuant à peine leurs ailes noires ; ils disparaissent dans la chute de neige. Les chevaux se secouent, et ils vont plus vite. Il ne tombe plus que des flocons légers, fondants ; mais au loin tout est encore ténèbres. Nous arrêtons de nouveau pour tenir conseil.

La nuit approche ; nous sommes enveloppés dans un crépuscule sombre et brumeux qui s’étend sur le pays. Le Juif fouette ses chevaux, qui jouent des jambes. Enfin voici une bande d’un rouge ardent qui se montre à l’horizon ; nous y courons tout droit. On dirait que la lune est tombée dans la neige et qu’elle s’y éteint ; une grande flamme monte tout à coup, éclairant vivement des ombres noires.

— C’est le bivac de la garde rurale, près du petit bois de bouleaux, dit le Juif ; derrière le bois est Toulava.

À mesure que nous nous rapprochions, les arbres se dressaient en face de nous comme un mur sombre où se projetaient les lueurs fugitives de l’immense brasier que la garde avait disposé en demi-cercle sur la lisière du bois et qu’elle entretenait avec soin. La fumée montait lentement vers les