Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
LA MÈRE DE DIEU.

plètement de la vôtre, qui ne demande que des sacrifices et du renoncement, qui taxe de péché tout ce qui divertit le cœur de l’homme. Nous, nous servons Dieu, sans pour cela condamner les plaisirs qui par eux-mêmes n’ont rien que d’absolument innocent. Nous avons l’habitude de nous réunir, le soir, les femmes, les jeunes filles et les jeunes hommes, pour discourir ensemble. Quand les vieillards se mêlent à nous, ils sont les bienvenus. On cause, on s’entretient de choses utiles, on se divertit souvent, et nos veillées sont fort gaies. »

Mardona parlait à Sabadil d’une voix douce et avec beaucoup de bonté. Elle était si belle et si chaste en lui parlant ainsi, qu’il croyait voir son visage illuminé comme la face d’une sainte. Cependant il soutint hardiment son regard : ce qui étonna la Mère de Dieu, accoutumée à voir se baisser tous les yeux devant elle.

Le jeune paysan qui était entré en compagnie du père de Mardona se nommait Wadasch. Il se tenait encore debout vers la porte, et ses petits yeux noirs étaient arrêtés sur la Mère de Dieu, remplis de crainte. Son petit nez retroussé ne s’accordait nullement avec sa bouche aux lèvres épaisses, sévère et empreinte d’un cachet de mélancolie. Il tenait ses mains derrière son dos, ou dans les poches, comme si elles ne lui eussent pas appartenu et qu’il eût craint qu’on ne les lui réclamât.

« Wadasch, dit au bout d’un moment la Mère de Dieu d’une voix calme, ne viens-tu pas me saluer ? »

Le jeune homme regarda devant lui, d’un air épou-