Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
SASCHA ET SASCHKA.

corsage bleu et d’une veste blanche garnie de fourrures noires qui ne descendait qu’à la taille. Elle avait la tête entourée d’un foulard blanc, la poitrine couverte de corail et d’amulettes et elle tenait à la main un kantschou.

La jeune fille venait d’arrêter involontairement son cheval ; à son insu elle souriait d’un air mutin au jeune homme en habit d’ecclésiastique qui s’était approché.

« D’où viens-tu donc ? » dit enfin celui-ci.

Cette question fort simple n’était pas digne du président de la Société littéraire, mais elle en valait bien une autre, puisqu’elle suffisait pour lier conversation.

« C’est à moi qu’il appartient de t’interroger, repartit l’inconnue, car ceci est mon royaume ; tous les arbres de la forêt m’obéissent ; devant moi s’inclinent les fleurs et le gazon ; les oiseaux qui chantent au sommet des rameaux, les papillons aux ailes bigarrées qui se jouent dans les airs embaumés sont mes sujets ; à mes ordres les vagues du ruisseau se mettent à sautiller, et le soleil dépose à mes pieds ses rayons d’or.

— Alors tu es une sorte de déesse, peut-être une de celles qui, selon les croyances populaires, sont bannies du ciel, et qui, dans ces solitudes, mènent l’existence des créatures sauvages.

— Aurais-tu peur de moi ? »

L’étrangère prononça ces mots avec tant d’emphase et de solennité que Sascha resta muet pendant quelques instants.

« Enfin, seriez-vous une actrice ? » balbutia-t-il avec embarras.