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Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/262

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LA MÈRE DE DIEU.

tremblant. Comme il ne pouvait se décider à se nourrir de chats, de chiens et de corneilles, il souffrit réellement de la faim dans la demeure du pauvre bohémien. Un jour, enfin, il se décida à sortir. Il se rendit chez lui, mangea tout ce qui s’y trouvait, se reposa, et, après un somme, se tint le monologue suivant : Ne sois donc pas si lâche, imbécile ! La poltronnerie expose à de plus grands dangers encore que le courage. Tu es libre de reconnaître ta faute, d’en demander pardon et de t’humilier ; mais, voilà, Mardona est capable de te faire rosser d’importance ; des coups, ce ne serait rien encore. Mais elle peut te forcer à jeûner, à jeûner durant un mois entier, jusqu’à ce que tu ressembles à ton ombre. Non, Sukalou, tu ne t’humilieras pas ! tu ne reviendras pas sur ce que tu as affirmé. Tu tiendras bravement le parti de Wewa, tu lui gagneras des partisans, et, lorsqu’elle se sera constitué une armée, qui peut t’atteindre et te menacer, dis ? — Et si cela tournait mal ? s’il t’arrivait de tomber au pouvoir de Mardona ? Quoi, alors, quoi ? Elle ne peut cependant te faire pendre comme cela, sans autre forme ! Non, elle ne le peut. Il y a des lois, Sukalou, je t’assure qu’il y en a. Il y en a pour protéger les honnêtes gens, les hommes paisibles et pieux.

Là-dessus il se rendit à l’auberge, se grisa et reprit son œuvre avec un nouveau zèle. Il se transporta de village en village, sur ses longues jambes maigres, et partout il annonça la révélation qui lui avait été faite. Il chanta les louanges de la nouvelle Mère de Dieu et lui gagna ainsi un grand nombre de disciples.