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Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/276

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LA MÈRE DE DIEU.

sés, très pâle. Elle semblait attendre le salut de Sabadil. Mais lui ne l’embrassa pas. Il l’aimait de toute son âme, et il eût considéré comme un péché de toucher seulement le bord de son vêtement devant un tiers. Sofia les examinait l’un et l’autre avec attention. Puis, comme ils ne se disaient rien, elle se leva et sortit, un sourire discret aux lèvres.

Il neigeait. Il neigeait des flocons si épais, qu’on n’apercevait, qu’on ne distinguait rien dans la campagne. Des murailles étincelantes s’élevaient autour des chaumières et des seigneuries. Chacun restait chez soi, ou profitait le plus longtemps possible de l’hospitalité qui lui était offerte.

Nilko Ossipowitch, Kenulla et le Wujt jouaient au tarok depuis le matin, autour de la grande table ronde… La fumée de leurs longues pipes avait rempli la salle d’un brouillard tout achéronien. Lorsque le crépuscule envahit la chambre de sa lueur grisâtre, ceux qui s’y trouvaient ne se distinguèrent pas plus à trois pas de distance qu’au travers de la fumée d’un champ de bataille. Les joueurs eux-mêmes ne se reconnaissaient pas d’un bout de la table à l’autre.

Peu à peu, Anastasie, Turib et Jehorig, qui étaient assis sur le banc du poêle et chuchotaient, prirent des formes vagues d’apparitions. On entendait le grincement aigre d’un couteau que Turib aiguisait.

Mardona entra sans être remarquée. Elle s’assit tranquillement à côté de son père, et le regarda jouer. Vis-à-vis se tenait Sabadil, qui examinait les cartes de Kenulla par-dessus son épaule, tandis que Nimfodora était établie sur une chaise plus loin, contre la mu-