Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
SASCHA ET SASCHKA.

Aux rames pendaient des gouttelettes d’argent, de blanches vagues dansaient autour du gouvernail du canot, qui fendait les eaux en traçant derrière lui un sillon lumineux.

Sascha déposa les rames, la barque tournoya, recula, puis demeura immobile au milieu de l’étang. Elle balança les deux jeunes gens plus doucement encore que s’ils eussent été dans un berceau, tandis que l’eau et les roseaux murmuraient une antique berceuse.

Spiridia, se dérobant à demi aux regards de Sascha, tressa une couronne avec les nénuphars et les lis d’eau qu’elle venait de cueillir.

Autour d’eux on n’apercevait que le ciel, l’eau, les verts massifs des joncs ; on n’entendait que le clapotis mystérieux des vagues autour des branches de saules qui se penchaient dans l’étang.

« À quoi donc pensiez-vous, tandis que vous étiez assis là-bas sur la Mogila, demanda enfin Spiridia, vous paraissiez si triste ?

— Je songeais, répondit Sascha, aux héros qui, depuis des siècles, reposent en silence sur les vertes collines des steppes, ou à l’ombre des vieux chênes, et qui, maintenant encore, vivent dans nos chants populaires ainsi que dans l’histoire. Le moine au visage ascétique songe à eux, la nuit, dans son étroite cellule, quand il lit les vieilles chroniques, à la lumière de sa petite lampe toujours allumée. Le jeune garçon assis sur les bancs de l’école, la moissonneuse qui fait tomber les blonds épis sous sa faucille pensent aussi à eux, et le forgeron qui frappe de son marteau