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Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/45

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SASCHA ET SASCHKA.

Peu à peu il apprit quelques mots de chacune des langues, puis il finit par les réunir en un affreux jargon. Mais ce ne fut pas tout. Le curé, en parlant au chantre, changeait son nom chaque jour de la semaine, suivant l’idiome dans lequel il lui parlait (avec sa femme il ne se serait point permis une telle facétie).

Le pauvre garçon ne portait donc que le dimanche le nom d’Ogan ; le lundi il le changeait contre celui d’Oganius ; le mardi il répondait à celui d’Oganer ; le mercredi il devenait Oganski ; le jeudi il s’appelait Oganier ; le vendredi il se désespérait de se voir décoré du nom d’Oganidell ; puis le samedi il terminait sa voie douloureuse sous le nom d’Oganelli. Ce qui pour lui était le plus pénible, c’est que Spiridia, elle aussi, lui donnait ces noms ; elle que le chantre vénérait comme une créature supérieure, comme un ange sous une forme humaine, dont les ailes étaient cachées sous sa kazabaïka de velours bleu doublée en fourrure blanche.

Cet ange protecteur se tenait non seulement aux côtés du chantre, mais encore aux côtés du bon curé, pour lui servir d’aide et d’appui.

Sascha avait la manie de cultiver toutes les sciences à la fois : la chimie, la littérature, la géographie, l’économie politique, la musique, la botanique. Les seules choses qu’il négligeât étaient celles dont il aurait dû s’occuper de préférence. Il arrivait à la cure de Visla des plaintes, de vertes réprimandes au sujet d’affaires non terminées et commencées depuis au moins six mois.