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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/242

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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Ses enfants tournent bien pour le caractère et pour l’instruction. La petite Laure « est colère comme un dindon » et grafigne comme le chat, mais elle tient cela de son père. Elle passe de maladie à santé, d’agitation à torpeur et ne fait rien qui se puisse prévoir ou justifier ou définir.

Madame de Sade a maintenant toutes facilités de voir son mari, mais elle ne peut lui parler sans témoin et se taît plutôt que de dire les choses à moitié. Elle le trouve fort sage et fort posé ; M. le Noir prétend qu’il a toujours ses fureurs, qu’il écrit des horreurs contre tout le monde, qu’il menace. C’est si contraire à ce qu’elle voit qu’elle ne le peut croire. La tête de M. de Sade « est une alternative de bien, de mal » : il s’amenderait sûrement si on voulait lui en fournir l’occasion, et c’est précisément ce que ses persécuteurs redoutent le plus. L’on est bien buté contre lui à Versailles ; M. de Maurepas est très mort et les autres très vivants, mais rien n’est changé.

Il y a, plus que jamais, grande disette d’argent. Madame de Sade a engagé ses boucles pour mille livres ; la présidente retient ce qu’elle lui doit pour payer la pension du captif et se fait même rembourser par sa fille une avance qu’elle lui a faite. Les successions de l’abbé et de la tante Dazy sont toujours achoppées ; à la Coste le vent fait rage et les plafonds s’écroulent ; ce qu’on touche n’est qu’une misère et l’on fatigue les fermiers pour obtenir d’eux des versements avant terme. La marquise ne veut pas recourir au juif, crainte de tout ébruiter, alors que c’est précisément à lui qu’il faut s’adresser pour avoir du secret, au moins jusqu’à l’échéance. Les créanciers pressent. Une dame Brun, de Grenoble, fait écrire, par un procureur, une lettre si forte que son avocat doit s’en excuser : « Vous savez que MM. de cet ordre n’ont pas toujours des expressions délicates ». C’est la vieille querelle de la serviette et du torchon. Madame de Montreuil mûrit peu à peu son projet de faire légalement pourvoir à l’administration des biens de l’absent, qui se refuse toujours à donner un pouvoir à sa femme. Gaufridy, pris entre les réclamations des créanciers, celles de la marquise et les exigences de mademoiselle de Rousset, fait part, non sans aigreur, à celle-ci de l’embarras où on le met. On le laisse nager sans lui montrer la rive !

Il n’a pas besoin d’attendre que les lettres de madame de Sade à Rousset soient tombées entre ses mains, comme elles le feront à la mort de la demoiselle, pour sentir la façon dont il y est traité. On ne