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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/327

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MARQUIS DE SADE — 1790
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livres qui m’ont été avancées pour commencer à vivre, je vous supplie de me faire passer, aussitôt ma lettre reçue, un millier d’écus au moins, et avec cette somme, je vous laisserai en pleine paix jusqu’au mois de juillet, époque où vraisemblablement j’irai dans mes terres à dessein de reprendre le timon de mes affaires, pour le soin desquelles je ne saurais trop vous témoigner ma reconnaissance. Je ne vous écris qu’un mot cette fois-ci parce que je n’ai encore qu’un besoin, mais, comme il est fort pressant, je vous conjure d’y faire face le plus tôt possible.

Paris, hôtel du Bouloir, rue du Bouloir[1], district Saint-Honoré. Ce 6 avril 1790.


Le marquis promet d’être désormais dévot au saint vendredi. (12 avril 1790).

……Je suis sorti de Charenton (où j’avais été transféré de la Bastille) le vendredi saint. Bon jour, bonne œuvre ! Oui, mon cher avocat, c’est ce jour-là où j’ai recouvré ma liberté ; aussi suis-je décidé à le sanctifier le reste de ma vie et, au lieu de ces concerts, de ces promenades frivoles consacrés irréligieusement par l’usage à cette époque, où nous ne devrions que gémir et pleurer, au lieu, dis-je, de toutes ces vanités mondaines, chaque fois que le quarante cinquième jour du carême nous ramènera un saint vendredi, je m’agenouillerai, je prierai, je remercierai… ferai résolution de m’amender, et tiendrai parole.

Au fait, mon cher avocat, car je vois bien que vous allez me dire comme tout le monde : « Ce sont des faits que nous voulons, monsieur, et non pas des paroles », au fait donc, il est constant que je suis tombé au milieu de Paris avec un louis dans ma poche, sans savoir où aller, où loger, où dîner, où prendre de l’argent. M. de Milly, procureur au Châtelet, gérant mes affaires de ce pays-ci depuis vingt-six ans, a bien voulu d’abord m’offrir un lit, sa table et six louis. La quatrième jour, avec mes six louis, dont il n’en restait plus que trois, il m’a fallu, pour ne pas être à charge, chercher auberge, domestique, tailleur, traiteur, etc., et tout cela avec trois louis.

J’ai, dans cet état de choses, présenté requête à madame la présidente de Montreuil, laquelle a bien voulu me faire prêter quelques louis par son notaire, sous condition que je vous écrirais tout de suite à l’effet de me faire passer de l’argent, tant pour rembourser celui qu’elle m’a fait prêter par son notaire que pour continuer de vivre. Je vous conjure donc, mon cher avocat, de ne mettre aucune espèce de retard à l’envoi de la somme primitive de mille écus que je vous ai demandés l’autre jour et dont le besoin est aussi extrême que la promptitude de l’envoi est essentielle……

  1. Ou : du Bouloi. Anciennement : rue aux Bouliers.