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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/331

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MARQUIS DE SADE — 1790
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n’y a rien qu’ils n’aient inventé, rien qu’ils n’aient fait pour l’y déterminer. Ils ont porté l’infamie jusqu’à payer des journalistes pour me déchirer dans leurs feuilles. En un mot, depuis que je connais ces monstres-là, voulez-vous que je vous dise ce que je crois maintenant, mon cher monsieur ? Je suis plus que persuadé que ce sont eux qui m’ont suscité mon affaire de Marseille, eux qui soudoyèrent les filles pour leur faire déposer des horreurs… auxquelles je n’avais jamais pensé. Ah ! n’imaginez pas que ce que je dis là soit si chimérique ! Une infinité de gens me le disent aujourd’hui, et que, ne sachant comment s’y prendre pour me séparer de la sœur de ma femme avec laquelle je vivais alors, comme vous savez, ils inventèrent cette infamie pour y réussir… Baste ! car l’humeur s’empare à tel point de moi quand je parle de ces f… gueux, que je n’écris plus qu’avec du fiel !

……Des affaires essentielles à finir ici, et la crainte d’être pendu en Provence aux potences démocrates me retiendront jusqu’au printemps prochain. À cette époque, c’est-à-dire dans les premiers jours de mars, je compte aller en Provence avec mes enfants. Voilà mes projets, monsieur, ceux que j’exécuterai, si Dieu et les ennemis de la noblesse me laissent vivre. À ce propos, n’allez pourtant pas me prendre pour un enragé. Je vous proteste que je ne suis qu’impartial, fâché de perdre beaucoup, plus fâché encore de voir mon souverain dans les fers, confondu de ce que vous ne sentiez pas, messieurs, dans les provinces, qu’il est impossible que le bien se fasse et se continue tant que les sanctions du monarque seront contraintes par trente mille badauds armés et vingt pièces de canon ; mais regrettant fort peu, d’ailleurs, l’ancien régime ; assurément il m’a rendu trop malheureux pour que je le pleure. Voilà ma profession de foi, et je la fais sans crainte.

Vous me demandez des nouvelles ; la plus importante aujourd’hui est le refus, fait par l’assemblée au roi, de le laisser se mêler de la paix et de la guerre[1]. Du reste, ce sont les provinces qui nous fournissent tout ce dont on s’occupe le plus : Valence, Montauban, Marseille sont des théâtres d’horreurs, où des cannibales exécutent chaque jour des drames à l’anglaise qui font dresser les cheveux[2]… Ah ! il y a bien longtemps que je disais à part moi que cette belle et douce nation, qui avait mangé les fesses du maréchal d’Ancre sur le gril, n’attendait que des occasions pour s’électriser, pour faire voir que, toujours placée entre la cruauté et le fanatisme, elle se remonterait à son ton naturel, dès que des occasions la détermineraient !

Mais en voilà assez ; il faut être prudent dans ses lettres, et jamais le despotisme n’en décacheta autant que la liberté……

Je finis sans compliment, si vous le voulez bien. C’est un reste de nos siècles d’esclavage que la liberté doit bannir ; faites-en de même, je vous

  1. Cette lettre, qui porte la date du dix-neuf mai, a dû être continuée ou reprise après le vingt-deux mai, jour où a été rendu le décret sur le droit de paix et de guerre, qui, d’ailleurs, laissait au roi l’initiative du recours aux armes et le droit de sanction.
  2. Pour et contre la révolution.