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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/359

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MARQUIS DE SADE — 1791
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Mon fils, le chevalier, est près de vous maintenant ; il est en garnison à Lyon. L’aîné, après avoir donné sa démission, est sorti du royaume et, depuis trois semaines qu’il est parti, je n’ai pas eu de ses nouvelles. Ce jeune homme a l’air de nourrir un chagrin secret. Il est inquiet, turbulent ; il veut aller aux extrémités de la terre ; il déteste sa patrie ; on ne sait en vérité ce qu’il a, mais il n’est pas dans son assiette. Le chevalier est bien plus calme et se comporte mieux……


Le marquis a appris la mort soudaine de madame de Raousset ; il la pleure, croit en hériter, prend feu sur cet héritage, tombe dans un grand abattement en constatant qu’il s’est trompé, puis dicte à l’avocat les mesures à prendre pour avoir, au moins, celui de madame de Villeneuve.

Je vous assure, mon cher avocat, que si quelque chose au monde m’a surpris et affligé, c’est bien sûrement la nouvelle que vous venez de m’annoncer. Hélas ! de quoi faut-il répondre à présent ? Si j’avais eu de l’argent à placer sur une tête, assurément ç’aurait été sur celle-là. J’étais à dîner quand on n’a remis votre lettre. Je ne mange qu’une fois toutes les vingt-quatre heures et suis bien aise d’être un peu tranquille pendant cet instant-là. Je déteste de recevoir des lettres alors, et, malgré l’ordre exprès de ne m’en point donner, la vôtre m’a été présentée, et, comme je n’aime point à retarder la lecture de ce qui me vient de vous, je l’ai ouverte à l’instant et j’ai été fort affligé.

Je connaissais tous les défauts de ma cousine, je venais même de vous en entretenir dans ma dernière ; mais quand on perd ses amis ou ses parents, ce n’est plus aux défauts qu’on pense, c’est aux vertus, c’est aux liens. J’ai pleuré ma chère cousine et voudrais assurément pour beaucoup la rappeler à la vie : c’était la compagne de notre enfance, mon cher avocat. Elle s’appelait Pauline alors, et venait avec vous[ws 1] jouer dans la salle basse de ma grand-mère. Allons, mon ami, ceci nous avertit. Dieu veuille que je parte le premier ! Je ne connais rien de si cruel que de survivre à ses amis.

Si j’étais dans le monde avec vous, entre une telle nouvelle et la partie d’intérêt qu’elle entraîne, je mettrais au moins huit jours d’intervalle. Mais ici… dans un tel éloignement, je suis contraint à confondre, et le chapitre de la douleur, et celui des intérêts.


(Ma lettre ne commence à avoir le sens commun qu’à la marque OOOOO.)

Je ne sais pourquoi ni comment on me disait toujours autrefois dans mon enfance : « Si votre cousine mourait avant vous, vous seriez bien riche ! » Voilà cet événement arrivé, et très malheureusement sans doute. Dites-moi maintenant, je vous prie, si ce qu’on me disait alors devait être juste ou non. Je conçois parfaitement que, s’il y a un testament en faveur du mari, je ne pourrai rien espérer maintenant, mais à la mort de ce mari,

  1. Le marquis a probablement écrit nous qui est davantage conforme au sens de la phrase.