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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/384

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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


du parti que vous forciez mes fils de prendre, j’aurais dû dénoncer sur le champ votre maison comme le foyer de la stupide aristocratie où tous ces affreux projets, et bien d’autres peut-être, et se tramaient, et s’exécutaient. J’ai bien voulu ne le pas faire par un reste de considération pour vous, mais aujourd’hui je vous déclare que, si sous quinze jours vous ne faites pas rentrer mes enfants dans leur devoir (je ne le puis, moi, puisqu’on me cache leur adresse), je vous réitère donc, monsieur, que, si sous quinze jours ils ne sont pas à Paris, et, comme leur père, armés pour la défense de la patrie, aucune considération ne m’arrête et je vous dénonce à l’instant à l’assemblée nationale et à toute la France comme l’instigateur de leur criminelle émigration. Je vous conseille de ne pas mépriser l’avis que je vous donne dans une lettre dont je prends acte, et dont je dépose la copie devant témoins en lieu sûr.

Ce 17 août 1792.


Copie de la lettre écrite à ma femme relativement au même objet.

J’ai écrit hier à M. votre père, madame, pour lui enjoindre d’avoir à faire revenir mes enfants sous quinze jours. Si je savais leur adresse et si l’on ne me la cachait pas, je me serais chargé de la commission moi-même. Du moment que l’on rend les parents responsables de l’émigration de ceux qui leur appartiennent et que l’on veut même les punir pour eux, vous devez bien sentir, madame, que je ne puis souffrir plus longtemps une telle conduite de la part de vos enfants que j’ai toujours blâmée, mais que je condamne décidément dans ce moment-ci. Je vous déclare donc que je vous ordonne de les faire revenir, je vous déclare que je prends publiquement acte de l’ordre que je vous donne à ce sujet et que, s’ils ne sont pas ici sous quinze jours, je vous dénonce, et vous, et votre famille, à l’assemblée nationale comme les instigateurs de l’émigration de mes enfants.

Il fallait assurément bien peu de politique pour ne pas voir que le parti que vous leur faisiez prendre était absurde et qu’il ne menait qu’à se perdre et qu’à se déshonorer. Était-ce d’ailleurs à vos enfants, s’ils avaient un peu mieux raisonné, à prendre le parti de parlements qui ont voulu flétrir leur père et de ministres qui l’ont fait enfermer ? Je voudrais bien savoir ce qu’ils font maintenant en Allemagne ? Servent-ils un prince dont ils n’auront jamais que de l’ingratitude et des mépris, servent-ils un roi traître et fourbe qui, par la plus insigne lâcheté, a trahi à la fois dans un même instant et le peuple qu’il avait juré de soutenir, et les amis qui venaient le défendre[1] ? Je les désavouerais tout à l’heure pour mes fils si je les croyais attachés à de pareils scélérats. Qu’ils rentrent, madame, qu’ils rentrent, qu’ils embrassent la cause de leur père. Je suis citoyen et patriote, moi, madame, et l’ai toujours été. Armé, comme mes frères, pour

  1. Allusion au départ du roi pour l’assemblée pendant la journée du dix août.