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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/396

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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


cessé d’avoir de l’amitié pour vous, et vous savez que c’est le seul motif d’amitié qui, lors des mécontentements que je reçus de Fage, m’engagea à vous supplier de vous charger de mes affaires. Vous le fîtes, et j’ose dire et me croire convaincu que depuis cette époque ce fut ce même sentiment d’amitié qui vous les a fait conserver et régir avec soin. Cependant, au moment les plus intéressants, au moment où vous n’aviez plus que six mois à prendre patience, vous me faites le tour le plus sanglant qu’il soit possible de faire. Vous voilà parti ; voilà mes affaires abandonnées, et moi dans le plus cruel et le plus grand des embarras. Dans cette circonstance, je vous supplie de venir au moins jusqu’à moi, vous ne le voulez pas. Il résulte de tout cela pourtant que vous me plongez le poignard dans le cœur. Voulez-vous une légère esquisse de l’incendie que vous avez laissé, ou que votre départ a allumé dans mes biens ? Lisez, je n’amplifie rien, je ne fais qu’extraire, et jugez de mon état en recevant de telles nouvelles.

À Arles. — M. Lions remet sa procuration, les clefs du grenier, écrit une lettre des plus insolentes, en assurant qu’il ne me doit rien et qu’il n’a rien à m’envoyer.


À Saumane. — Pépin m’écrit que j’aie à lui fournir trois mille six cents francs sur le champ ou qu’on va détruire mes possessions.


À Mazan. — Ripert écrit qu’il ne sait où prendre le premier sol de mon quartier de janvier, que d’ailleurs tout est désordre à Mazan, et qu’il ne peut tenir ma ferme plus longtemps.


À la Coste. — M. Gaufridy père est loin. M. Gaufridy fils écrit que mon château est pillé, ravagé, etc., etc.


Dans cet état de cause, mon cher avocat, plus d’un individu se brûlerait la cervelle, et je ne vous cache pas que j’ai été deux ou trois fois tenté de le faire……

Mon ami, j’en reviens toujours à mon premier sentiment. C’est celui de mon cœur. Au nom de Dieu, jetez les procurations au feu, et retournez en Provence. Je vous le demande les larmes aux yeux ; ne laissez pas votre malheureux ami dans l’embarras. N’aurai-je donc retrouvé la liberté que pour mourir de faim ? Faudra-t-il donc que je regrette les cachots de la Bastille ? Non, vous ne le voudriez pas !… et je vous vois d’ici, pressé par mes prières, faire votre paquet et retourner ! Si ce n’est tout à fait dans vos foyers, au moins dans les environs. Songez encore une fois qu’Arles ou qu’Avignon peuvent vous cacher tout aussi bien que Lyon. Que diable, mon ami, vous n’avez pas fait de crimes ! Il ne s’agit donc que de se dérober un moment ; ces grandes haines sont l’histoire d’un jour……

Une lettre affreuse me parvient à l’instant… Je l’ouvre en frémissant. Hélas ! elle m’annonce mon malheur !.. Elle contient les horribles détails de ce qui s’est passé à la Coste !.. Plus de Coste pour moi !.. Quelle perte ! Elle est au-dessus de l’expression. Il y avait dans ce château de quoi en meubler six !.. Je suis au désespoir ! Si vous n’aviez pas mis tant de lenteur