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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


paierai la délicieuse petite campagne où j’ai passé l’été comme locataire et qui va être vendue sur affiches à ce prix-là. »

En attendant cette aubaine, on meurt de faim à Paris et les denrées sont inabordables. Aussi M. de Sade demande-t-il à Lions de lui envoyer, dans de vieilles malles et sous de fausses étiquettes, « assez de blé pour assurer la subsistance de quatre personnes ». Il ordonne également à Gaufridy de vendre à l’encan les débris de la Coste, après avoir fait porter à Saumane ce qui peut encore lui servir. Ces objets, parmi lesquels figurent cinq bidets dont les pillards n’ont pas compris ou ont méprisé l’usage, produisent une somme de dix-huit mille trois cents livres. Le marquis, chez qui l’imaginative est pareille à un sac magique d’où l’on peut tout tirer et où tout se perd selon l’occurence, estime qu’il y a somme suffisante pour lui acheter cent livres d’huile de table et autant d’huile à brûler, cinquante livres de confitures liquides et beaucoup de chinois, dix boîtes de confitures sèches, cent bouteilles de Frontignan et un pot d’anchois de deux ou trois livres. Pendant un an au moins, il réclame ce pot d’anchois dans toutes ses lettres.

Cependant un décret de l’assemblée vient faire peser une menace nouvelle sur les parents d’émigrés, mais M. de Sade fait voir qu’on ne le prend pas sans vert. Il avait cru, on lui avait laissé croire, que ses fils avaient émigré. Eh bien ! Il n’en est rien ! Ils n’ont jamais fait semblable folie ! Le cadet est à Malte, où il n’a point cessé de servir son ordre, et l’aîné voyageait. Il vient de rentrer en France ; il a appris le métier de graveur et il en vit ; il est fort savant en botanique et a passé tout le temps qu’il est resté loin de son père à composer un herbier. Bref il n’est inscrit sur aucune liste et peut montrer à qui voudra son certificat de non inscription. Il faut que l’avocat crie cela bien haut et multiplie les occasions de répandre cette étonnante nouvelle.

Mais l’avocat a d’autres soucis, dont le premier est de savoir comment il va s’y prendre pour satisfaire aux demandes d’argent de M. de Sade. À la fin de l’année, l’assignat est si bas que le marquis prétend tirer de ses biens, pendant les douze mois qui vont suivre, non plus quelques milliers de livres, mais huit cent quatre-vingt-seize mille trois cents livres en papier-monnaie, ou leur valeur représentative en or ou en nature, « sans qu’il y ait là d’autre effroi à avoir que celui des mots. »