Aller au contenu

Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
— XXX —


succès. On le poursuit, presque férocement, mais avec une sorte de courageuse quiétude. L’activité de chaque personnage présente un caractère de décence froide qui est peut-être l’expression même de l’ancienne sociabilité française.

Madame de Montreuil domine de très haut les personnages de cette histoire par le caractère et par l’esprit. C’est elle qui mène tout et c’est à elle que chacun recourt, sans en excepter le marquis. Ce qui vient d’elle excite la fureur et l’admiration, et tout cède à sa volonté ou simplement à son influence. Parmi des êtres qui n’ont qu’une pensée ou qu’une marotte, la présidente seule est une créature de force et d’action accordée à son milieu et à son temps. Elle est ferme, même dans ses travers, mesurée dans ses desseins, prudente jusqu’à l’extrême cautèle et cependant douée de plus de cœur et d’audace que ses comparses. Il n’y a pas trace chez elle de cette fausse originalité qui substitue les brouilleries de l’imagination à la justesse des pensées et qui déprécie jusqu’aux avantages qu’elle procure.

L’esprit de madame de Montreuil est prompt, exact et propre. Elle se décide et agit avec tous les préjugés de sa caste, mais elle domine les motifs qui la poussent. Elle fait le nécessaire pour aboutir et ne s’embarrasse jamais des droits et des peines d’autrui, mais elle ne fait rien de trop, et le sentiment qu’elle garde de la justice ne cède que tout juste à celui qu’elle a de la nécessité. Elle ignore ou méprise ce qui n’est pas d’accord avec sa raison, mais les moyens qu’elle emploie sont aussi souples et variés que son but est nettement défini. Elle sait à la fois séduire, intimider et corrompre, user de toutes les influences en ménageant la sienne ; elle possède toutes les ressources de la chicane et n’aborde jamais un obstacle qu’à la faveur de bons cheminements. Son grand mot est « sûreté », et nul n’est mieux instruit des pratiques qui donnent la sauvegarde sans compromettre le succès. Elle sait toujours se ménager le concours qui doit lui être le plus utile, mais sa discrétion est parfaite. Tout est présent à son esprit à l’heure qu’il faut et elle n’a jamais à se repentir d’un échec ou à chercher un responsable. Le passé ne compte plus à ses yeux. Elle est sans regrets comme sans remords ; elle ignore la haine et la démesure.

Malgré cette sereine volonté servie par une constante maîtrise, il n’y a point d’automatisme chez la présidente. Elle a ses hésitations, ses scrupules, ses problèmes de conscience, peut-être sa secrète passion. Le marquis assure que sa belle-mère a pour lui une tendresse de cœur qui