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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/454

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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


homme auquel j’avais mis avec plaisir toute ma confiance. Je reviens sur les qualifications. Votre lettre porte un caractère d’impudeur. Tout régisseur qui, en recevant la procuration de l’homme pour lequel il régit, lui répond par cette courte analyse : « Vous vous croyez quelque chose ? Eh bien ! vous êtes dans l’erreur, croyez-moi ; prenez un sac sur vos épaules et allez à la quête, car vous êtes ruiné ! » (vous conviendrez que tel est l’esprit de votre lettre), tout régisseur, dis-je, qui débute par ce ton est décidément un homme très ingrat, et je suis fâché qu’en commençant vous me donniez, dès les premiers jours, cette opinion de vous. Ce fut ainsi que Fage commença et ce fut pour une semblable lettre que j’accourus lui arracher ma procuration et le démasquer dans toute la province. Quoiqu’assez près parent de Fage, je ne voudrais pas que vous adoptiez son ton ; il n’est pas fait pour prendre, encore moins fait pour vous.

Votre lettre porte des caractères de fausseté, car dans le tableau que vous me faites de mon revenu vous me réduisez à néant, et voici celui de M. votre père, fait depuis la perte des droits seigneuriaux. Je copie mot à mot sa lettre :

Il vous reste à la Coste 
         3.125

à Arles 
         4.916

à Saumane 1.700 dont nous allons retrancher
 les 1.200 de la bastide vendue 
         500


        11.741

et cela toutes charges déduites.

Il me semble qu’il y a quelque légère distance entre cette somme et le néant épouvantable où me jette votre abominable épître.

Cette épître porte, je l’ai dit encore, le caractère de la méchanceté ; je le prouve. Il était écrit dans mes quatre dernières lettres (apparemment que vous ne prenez pas même la peine de les lire) : « Je suis dans des remèdes violents ; je vous prie d’ici à la fin de juin de ne point m’écrire de longues lettres et surtout de ne me rien dire qui puisse me donner du chagrin, mon médecin m’ayant assuré qu’il ne faudrait qu’une révolution dans l’état où je suis pour m’envoyer au tombeau. » Il est donc très méchant à vous de choisir ce moment pour m’écrire neuf pages d’horreurs dont le résultat est que je puis m’arranger pour faire une besace et aller demander l’aumône……

Monsieur, je vous demande avec instance de prendre bien garde à ce que vous dites lorsque vous parlez de la vente de la Grand’Bastide. Il ne vous appartient pas d’en parler comme vous le faites ni d’oublier que c’est votre père qui l’a vendue et que c’est à votre oncle qu’elle l’a été. Je m’impose tout silence sur cet objet ; je compte quelquefois les dix louis que ce bien m’a rendus, et, pour sécher mes larmes, je me dis : « C’est un homme qui se disait mon ami qui m’a laissé faire ce marché et il s’autorise de ce que je lui disais : « Faites-le ! » Les Romains condamnèrent à mort