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vilenies à ne point commettre. On est dominé par l’éloquence sans fard d’une pensée bien conduite, d’une discrétion qui se surveille, d’une volonté qui se soutient.

La présidente est avare, elle l’est même au possible. C’est un trait déplaisant, mais il est à sa place dans le dessin général de son caractère. Elle ne donne du sien qu’à la dernière extrémité, même pour ses petits enfants, et les créanciers du marquis, qu’elle a leurrés pendant quinze ans, n’ont rien obtenu d’elle. Pourtant son avarice ne l’avilit pas. Lorsqu’un besoin impérieux l’oblige à financer, elle le fait sans mot dire. Après la ruine des espoirs qu’elle avait placés sur la tête du grand prieur, elle se refuse à charger sa mémoire pour arracher un peu de sa dépouille à l’ordre de Malte, comme elle s’était refusée de son vivant à le solliciter avec trop d’importunité pour son petit chevalier. Sa plus grande passion ne la tient que jusqu’à refus, et nous aurons à opposer cette haute décence à la façon de faire du marquis.

Il n’y a rien à dire du président de Montreuil, sinon qu’il a fait beaucoup d’enfants à sa femme. Le président n’a parlé qu’une fois et ce fut pour dire une sottise. D’ailleurs il est trop occulté par la présidente pour qu’on puisse rien augurer de la figure qu’il eût faite au grand jour. C’est une fatalité et voilà tout ; chacun a la sienne. Plus tard, lorsqu’on le voit siéger aux séances de la section des Piques, sous la couleuvrine de son gendre, il fait pitié.

Le personnage de madame de Sade offre l’énigme d’une passion parasitaire si vorace qu’elle paraît un mal envoyé par les dieux. La dame est aussi éloignée que possible de l’image que nous nous faisons d’une grande amoureuse. Elle manque d’agrément et, ce qui est bien pis, de grâce. Ses façons sont masculines ; elle ne possède à aucun degré cet enveloppement du geste, de l’attitude et de la parole qui est toute la femme ; elle va droit son chemin, met de gros gants pour fendre du bois, fait ressemeler ses chaussures, s’habille de frusques vieilles de dix ans qu’on lui envoie de la Coste. Mademoiselle de Rousset la représente « marchant autour d’elle à pas de géant », en attendant qu’on lui cède la place devant le papier où sa compagne est en train d’écrire. Elle fait penser à une cantinière.

La marquise est pleine de décision, et les problèmes qui se présentent à son esprit sont aussi vivement posés que résolus. Elle est en cela, comme en toutes choses, fort différente des gens de Provence qui tentent d’ajuster trop de mots et de phrases à la difficulté qui les occupe et