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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/58

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— XLIV —


que l’instinct de conservation. Il refuse de mettre aux voix une motion sanguinaire et il entre dans les cachots de Robespierre pour avoir refusé de commettre une atrocité de sang-froid.

L’enthousiasme révolutionnaire du marquis est certainement son plus beau mensonge, mais il n’est pas toujours aussi subtil et veut vraiment trop nous en faire accroire. Ses sophismes sont souvent grossiers et les mobiles qui le poussent trop apparents. Ses stratagèmes sont peu variés. Tantôt il affecte une magnanimité ridicule qui implore la pitié en affectant de la repousser, tantôt il généralise jusqu’à l’absurde une pensée qui n’est que l’expression momentanée de son désir. Mais on s’aperçoit vite que M. de Sade s’assied tour à tour devant les cases blanches et les cases noires et qu’il joue, selon l’occurence, le jeu dans les deux camps. Un autre trait de sa façon est de ne jamais rien avancer sans engager sa parole, mais, comme il sait mieux que quiconque ce qu’en vaut l’aune, il a toujours quelque témoin à citer, quelque attestation à offrir, quelque certificat à produire. Il aime la chicane, non pas pour les moyens qu’elle offre à l’esprit de tromper la fureur d’un adversaire et d’en venir à bout par de savantes passes, mais comme une arme d’hast qui permet de frapper de loin et sans péril. C’est un penchant commun à toutes les mauvaises natures, mais la férocité lui manque et il ne sait pas tirer de la procédure un moyen d’oppression. Il ne voit dans son usage qu’une forme atténuée et prudente de la colère, une occasion de finesse et de petits profits, un expédient de gratte-sous, et il n’en a qu’un sens très imparfait. Par contre il possède ce don verbal et ces ressources de dialectique qui sont la robe d’apparat du mensonge. Il est moins écrivain que gazetier, moins gazetier que comédien, moins comédien qu’avocat. Il a toute la vanité et la bouffe qu’il faut pour exceller dans la défense des mauvaises causes ; s’il a mal réussi c’est qu’il n’a plaidé que les siennes et qu’il n’y a pas mis cet excès de quiétude qui couvre les à-peu-près de la conscience du manteau de l’esprit de corps et fait de l’abus du sophisme une occasion d’honneur et de profit lorsqu’on le cultive pour l’art, c’est-à-dire pour lui-même.

Mais le marquis s’entend encore mieux à lancer la pierre en retirant le bras. Il souffle à ses intimes ce qu’ils doivent dire en son nom et ne s’inquiète même pas de donner en le faisant la mesure du peu de crédit qu’il s’accorde. Ses manifestations verbales ne sont qu’une façon de jouer à la montre. De fait il n’agit pas ou presque pas, en dépit de ses emportements et de la rigueur de ses exigences. Ses décisions tournent