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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/115

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que rire, & ſes principes captieux nourris d’une éloquence plus mâle, ſoutenus de lectures que je n’avais heureuſement jamais faites, attaquaient chaque jour tous les miens, mais ſans les ébranler. Madame de Bressac remplie de vertu & de piété n’ignorait pas que son neveu ſoutenait ſes écarts par tous les paradoxes du jour ; elle en gémissait ſouvent avec moi ; & comme elle daignait me trouver un peu plus de bon ſens qu’à ſes autres femmes, elle aimait à me confier ſes chagrins.

Il n’était pourtant plus de bornes aux mauvais procédés de son neveu pour elle, le Comte était au point de ne s’en plus cacher ; non-ſeulement il avait entouré ſa tante de toute cette canaille dangereuſe ſervant à ſes plaiſirs, mais il avait même porté la hardieſſe juſqu’à lui déclarer devant moi, que ſi elle s’avisait encore de contrarier ſes goûts, il la convaincrait des charmes dont ils étaient, en s’y livrant à ſes yeux même.

Je gémiſſais ; cette conduite me faiſait horreur. Je tâchais d’en réſoudre des motifs perſonnels pour étouffer dans mon ame la malheureuſe paſſion dont elle était brûlée, mais l’amour eſt-il un mal dont on puiſſe guérir ? Tout ce que je cherchais à lui oppoſer n’attiſait que plus vivement ſa flamme, & le perfide Comte ne me paraiſſait jamais plus aimable que quand j’avais réuni devant moi tout ce qui devait m’engager à le haïr.

Il y avait quatre ans que j’étais dans cette mai-

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