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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/131

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ces lieux ; toute l’horreur de ma deſtinée s’offrit alors à mes regards, & jugez ſi ma frayeur redoubla, quand je vis les diſpoſitions de ce lieu, fatal. Des cordes pendaient à l’un des arbres ; trois dogues Anglais monſtrueux étaient liés aux trois autres, & paraiſſaient n’attendre que moi, pour ſe livrer au beſoin de manger qu’annonçaient leurs gueules écumeuſes & béantes ; un des favoris du Comte les gardait.

Alors le perfide ne ſe ſervant plus avec moi que des plus groſſieres épithétes, Bon… me dit-il, reconnais-tu ce buiſſon d’où je t’ai tirée comme une bête ſauvage pour te rendre à la vie que tu avais mérité de perdre ?… Reconnais-tu ces arbres où je te menaçai de te remettre, ſi tu me donnais jamais occaſion de me repentir de mes bontés ? Pourquoi acceptais-tu les ſervices que je te demandais contre ma tante, ſi tu avais deſſein de me trahir, & comment as-tu imaginé de ſervir la Vertu, en riſquant la liberté de celui à qui tu devais le bonheur ? Néceſſairement placée entre deux crimes, pourquoi as-tu choiſi le plus abominable ? — Hélas ! n’avais-je pas choiſi le moindre. — Il fallait refuſer, pourſuivit le Comte furieux, me ſaiſiſſant par un bras & me ſecouant avec violence, oui ſans doute refuſer, & ne pas accepter pour me trahir. Alors M. de Bressac me dit tout ce qu’il avait fait pour ſurprendre les dépêches de Madame, & comment était né le ſoupçon qui l’avait

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