nière, & il a joui de neuf garçons ; les deux femmes
qui le ſervent ſont ſoumiſes aux mêmes horreurs…
Ô Théreſe, ajouta Roſalie en ſe précipitant
dans mes bras, ô chere fille, & moi-même
auſſi, & moi-même il m’a ſéduite dès ma tendre
enfance ; à peine avais-je onze ans que j’étais déjà
ſa victime… que je l’étais, hélas ! ſans pouvoir
m’en défendre. — Mais, Mademoiſelle, interrompis-je
effrayée… & la Religion, il vous reſtait au
moins cette voie… Ne pouviez-vous pas conſulter
un Directeur & lui tout avouer. — Ah ! ne
ſçais-tu donc pas qu’à meſure qu’il nous pervertit,
il étouffe dans nous toutes les ſemences de la Religion,
& qu’il nous en interdit tous les actes,…
& d’ailleurs le pouvais-je ? À peine m’a-t-il
inſtruite. Le peu qu’il m’a dit ſur ces matières
n’a été que dans la crainte que mon ignorance ne
trahît ſon impiété. Mais je n’ai jamais été à confeſſe,
je n’ai jamais fait ma première Communion,
il ſçait ſi bien ridiculiſer toutes ces choſes,
en abſorber dans nous juſqu’aux moindres idées,
qu’il éloigne à jamais de leurs devoirs celles qu’il
a ſubornées ; ou ſi elles ſont contraintes à les
remplir à cauſe de leur famille, c’eſt avec une
tiédeur, une indifférence ſi entière, qu’il ne redoute
rien de leur indiſcrétion ; mais convainc-toi,
Théreſe, convainc-toi par tes propres yeux,
continue-t-elle en me pouſſant fort vite dans le cabinet
d’où nous ſortions ; viens, cette chambre
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