Aller au contenu

Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 144 )


nière, & il a joui de neuf garçons ; les deux femmes qui le ſervent ſont ſoumiſes aux mêmes horreurs… Ô Théreſe, ajouta Roſalie en ſe précipitant dans mes bras, ô chere fille, & moi-même auſſi, & moi-même il m’a ſéduite dès ma tendre enfance ; à peine avais-je onze ans que j’étais déjà ſa victime… que je l’étais, hélas ! ſans pouvoir m’en défendre. — Mais, Mademoiſelle, interrompis-je effrayée… & la Religion, il vous reſtait au moins cette voie… Ne pouviez-vous pas conſulter un Directeur & lui tout avouer. — Ah ! ne ſçais-tu donc pas qu’à meſure qu’il nous pervertit, il étouffe dans nous toutes les ſemences de la Religion, & qu’il nous en interdit tous les actes,… & d’ailleurs le pouvais-je ? À peine m’a-t-il inſtruite. Le peu qu’il m’a dit ſur ces matières n’a été que dans la crainte que mon ignorance ne trahît ſon impiété. Mais je n’ai jamais été à confeſſe, je n’ai jamais fait ma première Communion, il ſçait ſi bien ridiculiſer toutes ces choſes, en abſorber dans nous juſqu’aux moindres idées, qu’il éloigne à jamais de leurs devoirs celles qu’il a ſubornées ; ou ſi elles ſont contraintes à les remplir à cauſe de leur famille, c’eſt avec une tiédeur, une indifférence ſi entière, qu’il ne redoute rien de leur indiſcrétion ; mais convainc-toi, Théreſe, convainc-toi par tes propres yeux, continue-t-elle en me pouſſant fort vite dans le cabinet d’où nous ſortions ; viens, cette chambre