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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/251

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qui leur prêtent des charmes ; t’imagines-tu maintenant que ſi chacune de ces glaces uniſſait la faculté créatrice à la faculté objective, elle ne donnerait pas du même homme qui ſe ſerait regardé dans elle, un portrait tout-à-fait différent, & ce portrait ne ſerait-il pas en raiſon de la maniere dont elle aurait perçu l’objet ? Si aux deux facultés que nous venons de prêter à cette glace, elle joignait maintenant celle de la ſenſibilité, n’aurait-elle pas pour cet homme vû par elle, de telle ou telle maniere, l’eſpece de ſentiment qu’il lui ſerait poſſible de concevoir pour la ſorte d’être qu’elle aurait aperçu ? La glace qui l’aurait vû beau, l’aimerait, celle qui l’aurait vû affreux, le haïrait, & ce ſerait pourtant toujours le même individu.

Telle eſt l’imagination de l’homme, Théreſe ; le même objet s’y repréſente ſous autant de formes qu’elle a de différens modes, & d’après l’effet reçu ſur cette imagination par l’objet, quel qu’il ſoit, elle ſe détermine à l’aimer ou à le haïr ; ſi le choc de l’objet aperçu la frappe d’une maniere agréable, elle l’aime, elle le préfere, bien que cet objet n’ait en lui aucun agrément réel ; & ſi cet objet, quoique d’un prix certain aux yeux d’un autre, n’a frappé l’imagination dont il s’agit que d’une maniere déſagréable, elle s’en éloignera, parce qu’aucun de nos ſentimens ne ſe forme, ne ſe réaliſe qu’en raiſon du produit des