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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/339

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la crête, & d’une prodigieuſe épaiſſeur… Qu’allais-je devenir ? le jour était prêt à paraître : que penſerait-on de moi en me voyant dans un lieu où je ne pouvais me trouver qu’avec le projet ſûr d’une évaſion ? Pouvais-je me ſouſtraire à la fureur du Comte ? Quelle apparence y avait-il que cet Ogre ne s’abreuvât pas de mon ſang pour me punir d’une telle faute ? Revenir était impoſſible, la Comteſſe avait retiré les draps ; frapper aux portes, c’était ſe trahir encore plus ſurement, peu s’en fallut alors que la tête ne me tournât totalement, & que je ne cédaſſe avec violence aux effets de mon déſeſpoir. Si j’avais reconnu quelque pitié dans l’ame du Comte, l’eſpérance peut-être m’eût-elle un inſtant abuſée, mais un tyran, un barbare, un homme qui déteſtait les femmes, & qui, diſait-il, cherchait depuis long-tems l’occaſion d’en immoler une, en lui faiſant perdre ſon ſang, goutte à goutte, pour voir combien d’heures elle pourrait vivre ainſi… J’allais inconteſtablement ſervir à l’épreuve. Ne ſachant donc que devenir, trouvant des dangers par-tout, je me jetai au pied d’un arbre, décidée à attendre mon ſort, & me réſignant en ſilence aux volontés de l’Éternel… Le jour paraît enfin ; juſte Ciel ! le premier objet qui ſe préſente à moi… c’eſt le Comte lui-même : il avait fait une chaleur affreuſe pendant la nuit ; il était ſorti pour prendre l’air. Il croit ſe tromper, il croit voir un ſpectre, il recule,