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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/351

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du ſein des lambris dorés, tendent une multitude de filets juſques ſur l’humble toit du pauvre. Mais, quelque habileté que je mette en uſage pour preſſer d’un côté, ſi des mains adroites n’enlevent pas leſtement de l’autre, j’en ſuis pour mes peines, & la machine va tout auſſi mal que ſi je n’épuiſais pas mon imagination en reſſources, & mon crédit en opérations. J’ai donc beſoin d’une femme leſte, jeune, intelligente, qui, ayant elle-même paſſé par les épineux ſentiers de la miſere, connaiſſe mieux que qui que ce ſoit les moyens de débaucher celles qui y sont ; une femme dont les yeux pénétrans devinent l’adverſité dans ſes greniers les plus ténébreux, & dont l’eſprit ſuborneur en détermine les victimes à ſe tirer de l’oppreſſion par les moyens que je préſente ; une femme ſpirituelle enfin, ſans ſcrupule comme ſans pitié, qui ne néglige rien pour réuſſir, juſqu’à couper même le peu de reſſources qui, ſoutenant encore l’eſpoir de ces infortunées, les empêche de ſe réſoudre. J’en avais une excellente, & sûre, elle vient de mourir : on n’imagine pas juſqu’où cette intelligente créature portait l’effronterie ; non-ſeulement elle iſolait ces miſérables au point de les contraindre à venir l’implorer à genoux, mais ſi ces moyens ne lui ſuccédaient pas aſſez tôt pour accélérer leur chûte, la ſcélérate allait juſqu’à les voler. C’était un tréſor, il ne me faut que deux ſujets par jour, elle m’en

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