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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/365

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répondis-je ; mais comment vous eſt-il venu dans l’eſprit de vous fixer dans un tel coupe-gorge ? — C’eſt que ceux qui l’habitent ne ſont pas des gens très-honnêtes, dit Roland ; il ſerait fort-poſſible que tu ne fuſſes pas édifiée de leur conduite. — Ah ! Monſieur, lui dis-je en tremblant, vous me faites frémir, où me menez-vous donc ? — Je te mene ſervir des faux-monnoyeurs dont je ſuis le chef, me dit Roland, en me ſaiſiſſant par le bras, & me faiſant traverſer de force un petit pont qui s’abaiſſa à notre arrivée, & ſe releva tout de ſuite après ; vois-tu ce puits, continua-t-il, dès que nous fumes entrés, en me montrant une grande & profonde grotte ſituée au fond de la cour, où quatre femmes nues & enchaînées faiſaient mouvoir une roue ; voilà tes compagnes, & voilà ta beſogne, moyennant que tu travailleras journellement dix heures à tourner cette roue, & que tu ſatisferas comme ces femmes tous les caprices auxquels il me plaira de te ſoumettre, il te ſera accordé ſix onces de pain noir & un plat de feves par jour ; pour ta liberté renonces-y ; tu ne l’auras jamais. Quand tu ſeras morte à la peine, on te jettera dans ce trou que tu vois à côté du puits, avec ſoixante ou quatre-vingts autres coquines de ton eſpece qui t’y attendent, & l’on te remplacera par une nouvelle.

Oh ! grand Dieu m’écriai-je en me jettant aux pieds de Roland, daignez vous rappeller, Mon-