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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/433

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taient à trancher des têtes. Ma malheureuſe compagne… Oh ! non, Madame… Oh ! non, n’exigez pas que je finiſſe… J’allais avoir le même ſort ; encouragé par la Dubois, ce monſtre ſe décidait à rendre mon ſupplice plus horrible encore, lorſqu’un beſoin de réparer, tous deux, leurs forces les engage à ſe mettre à table… Quelle débauche ! Mais dois-je m’en plaindre, puiſqu’elle me ſauva la vie ; excédés de vin & de nourriture, tous deux tomberent ivres morts avec les débris de leur ſouper. À peine les vois-je là, que je ſaute ſur un jupon & un mantelet que la Dubois venait de quitter pour être encore plus immodeſte aux yeux de ſon patron, je prends une bougie, je m’élance vers l’eſcalier : cette maiſon dégarnie de valets n’offre rien qui s’oppoſe à mon évaſion, un ſe rencontre, je lui dis avec l’air de l’effroi de voler vers ſon maître qui ſe meurt, & je gagne la porte ſans plus trouver de réſiſtance. J’ignorais les chemins, on ne me les avait pas laiſſé voir, je prends le premier qui s’offre à moi… C’eſt celui de Grenoble ; tout nous ſert quand la fortune daigne nous rire un moment ; on était encore couché dans l’auberge, je m’y introduis ſecrétement & vole en hâte à la chambre de Valbois ; je frappe, Valbois s’éveille & me reconnaît à peine en l’état où je ſuis ; il me demande ce qui m’arrive, je lui raconte les horreurs dont je viens d’être à-la-fois, la victime & le témoin ;