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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/449

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elle retournait à de nouveaux crimes, tandis qu’innocente & malheureuſe, je n’avais pour perſpective que le déshonneur, que la flétriſſure & la mort.

Accoutumée depuis ſi long-temps à la calomnie, à l’injuſtice & au malheur ; faite depuis mon enfance à ne me livrer à un ſentiment de vertu, qu’aſſurée d’y trouver des épines, ma douleur fut plus ſtupide que déchirante, & je pleurai moins que je ne l’aurais cru : cependant comme il eſt naturel à la créature ſouffrante de chercher tous les moyens poſſibles de ſe tirer de l’abîme où ſon infortune l’a plongée ; le pere Antonin me vint à l’eſprit ; quelque médiocre ſecours que j’en eſpéraſſe, je ne me refuſai point à l’envie de le voir : je le demandai, il parut. On ne lui avait pas dit par quelle perſonne il était déſiré ; il affecta de ne pas me reconnaître : alors je dis au concierge qu’il était effectivement poſſible qu’il ne ſe reſſouvint pas de moi, n’ayant dirigé ma conſcience que fort jeune, mais qu’à ce titre je demandais un entretien ſecret avec lui. On y conſentit de part & d’autre. Dès que je fus ſeule avec ce Religieux, je me précipitai à ſes genoux, je les arroſai de mes larmes, en le conjurant de me ſauver de la cruelle poſition où j’étais ; je lui prouvai mon innocence ; je ne lui cachai pas que les mauvais propos qu’il m’avait tenus quelques jours auparavant avaient indiſpoſé contre moi