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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/55

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un monde meilleur. Cet eſpoir me conſole, il adoucit mes chagrins, il appaiſe mes plaintes, il me fortifie dans la détreſſe, & me fait braver tous les maux qu’il plaira à Dieu de m’envoyer. Cette joie s’éteindrait auſſitôt dans mon ame, ſi je venais à la ſouiller par des crimes, & avec la crainte des châtimens de ce monde, j’aurais le douloureux aſpect des ſupplices de l’autre, qui ne me laiſſerait pas un inſtant dans la tranquillité que je déſire. — Voilà des ſyſtêmes abſurdes qui te conduiront bientôt à l’Hôpital, ma fille, dit la Dubois en fronçant le ſourcil ; crois-moi, laiſſe-là la juſtice de Dieu, ſes châtimens ou ſes récompenſes à venir, toutes ces platitudes-là ne ſont bonnes qu’à nous faire mourir de faim. Ô Théreſe ! la dureté des Riches légitime la mauvaiſe conduite des Pauvres ; que leur bourſe s’ouvre à nos beſoins, que l’humanité règne dans leur cœur, & les vertus pourront s’établir dans le nôtre ; mais tant que notre infortune, notre patience à la ſupporter, notre bonne-foi, notre aſſerviſſement ne ſerviront qu’à doubler nos fers, nos crimes deviendront leur ouvrage, & nous ſerions bien dupes de nous les refuſer, quand ils peuvent amoindrir le joug dont leur cruauté nous ſurcharge. La Nature nous a fait naître tous égaux, Théreſe ; si le ſort ſe plaît à déranger ce premier plan des loix générales, c’eſt à nous d’en corriger les caprices & de réparer, par notre adreſſe, les uſurpations du plus fort. J’aime

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