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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/87

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l’hiſtoire de Saint-Florent. Il avoit cinq cens mille francs dans ſon porte-feuille, & pas un écu dans ſa bourſe ; cette réflexion l’arrêta avant que d’entrer dans l’auberge. — Tranquilliſez-vous, Monſieur, lui dis-je en voyant ſon embarras, les voleurs que je quitte ne m’ont pas laiſſée ſans argent, voilà vingt louis, prenez-les, je vous conjure, uſez-en, donnez le reſte aux pauvres ; je ne voudrais, pour rien au monde, garder de l’or acquis par des meurtres.

Saint-Florent qui jouait la délicateſſe, mais qui était bien loin de celle que je devais lui ſuppoſer, ne voulut pas abſolument prendre ce que je lui offrais, il me demanda quels étaient mes deſſeins, me dit qu’il ſe ferait une loi de les remplir, & qu’il ne déſirait que de pouvoir s’acquitter envers moi : — c’eſt de vous que je tiens la fortune & la vie, Théreſe, ajouta-t-il, en me baiſant les mains, puis-je mieux faire que de vous offrir l’un & l’autre ; acceptez-les, je vous en conjure, & permettez au Dieu de l’hymen de reſſerrer les nœuds de l’amitié.

Je ne ſais, mais ſoit preſſentiment, ſoit froideur, j’étais ſi loin de croire que ce que j’avais fait pour ce jeune homme pût m’attirer de tels ſentimens de ſa part, que je lui laiſſai lire ſur ma phyſionomie, le refus que je n’oſais exprimer ; il le comprit, n’inſiſta plus, & s’en tint à me demander ſeulement ce qu’il pourrait faire pour

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