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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/227

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LA MARQUISE DE GANGE

d’une passion. Crois-moi, mon cher chevalier, servons l’intérêt d’abord ; nous parlerons d’amour quand nous serons riches. — Eh bien ! résumons-nous : quelle est enfin ta dernière résolution ? — De faire tout ce qui dépendra de nous pour perdre cette femme, pour que son mari ne conserve pas même un léger mouvement d’estime pour elle. Faut-il enfin prononcer le mot ? Eh bien ! mon ami, il faut la prostituer dans Avignon ; la faire retourner à Gange, comblée d’opprobre et de chagrin. — Et la mère, le répéterai-je cent fois ? — Il y a mille moyens de s’en débarrasser. À l’âge qu’elle a, en la guettant bien, on peut la faire passer pour aliénée ; on l’interdit, et la voilà écartée de la tutelle. — On pourrait faire mieux, dit le chevalier ; mais tenons-nous au parti que tu proposes, et, surtout, déguisons-nous tellement qu’il soit impossible de nous reconnaître… Et mon amour, mon amour, au milieu de tout cela ? — Pourrait bien avoir des suites fort heureuses : je le vois ainsi maintenant, mais tu me diras tout. — Je t’en donne parole. Et l’on se sépara, avec la ferme résolution d’agir dès le moment même, d’après les plans infernaux qui venaient d’être dressés.

L’abbé, comme on le voit, n’était convenu de rien dans cette conversation. Il était trop adroit et trop fin pour s’afficher le rival d’un frère qui valait mieux que lui ; mais il espérait bien pro-