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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/31

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LA MARQUISE DE GANGE

lorsqu’elle vit ces portes épaisses rouler avec fracas sur leurs gonds à demi rouillés. Très émue, fatiguée de la route, un peu souffrante de ses contusions, dès que le chirurgien de la ville eut assuré qu’elles n’auraient aucune suite, la marquise se coucha dans un appartement provisoire, le sien n’étant point encore prêt ; et, pour la première fois depuis son mariage, elle pria son mari de la laisser seule.

Il est dans la nature de l’homme (cette vérité est de tous les temps) d’attacher peut-être plus d’importance qu’il ne faudrait aux rêves et aux pressentiments. Cette faiblesse résulte de l’état d’infortune où la nature nous fait naître tous, un peu plus ou un peu moins les uns que les autres. Il semble que ces inspirations secrètes nous parviennent d’une source plus pure que les événements ordinaires de la vie ; et le penchant à la religion, qu’affaiblissent les passions, mais qu’elles n’absorbent jamais, nous ramène constamment à l’idée que, tout ce qui est surnaturel nous venant de Dieu, nous sommes, malgré nous, entraînés à ce genre de superstition, que la philosophie réprouve, et qu’adopte en pleurant le malheur. Mais, au fait, où serait donc le ridicule de croire que la nature, qui nous avertit de nos besoins, qui nous console si tendrement de nos maux, qui nous donne tant de courage pour les supporter, n’aurait pas également une voix qui nous en