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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/75

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LA MARQUISE DE GANGE

existence te pèse ; tu dois désirer ma mort ; et, quand le ciel t’accordera cette grâce, tu me priveras même de la faveur d’aller partager ce tombeau que tes soins, si délicats pour lors, avaient creusé pour tous deux : une autre y occupera ma place ; une autre traversera l’éternité près de toi. Mais, si tu m’éloignes sur la terre, le Dieu qui nous avait créés l’un pour l’autre nous réunira dans son sein ; tu seras forcé de m’aimer encore, quand tu sauras de lui-même que tous mes vœux et mes derniers soupirs t’atteignaient même au sein de l’infidélité.

Et madame de Gange ne cessait de pleurer en prononçant ces attendrissantes paroles. Sa belle tête, à moitié voilée par le mouchoir qu’elle inondait de ses larmes, n’offrait plus au bonheur qui l’affligeait qu’une partie de ce beau visage où le désespoir effeuillait les roses de l’innocence et de la pudeur.

— Madame, dit l’insensible Théodore, plus occupé d’arriver à son but que de calmer l’état affreux dans lequel il plongeait sa sœur, c’est bien moins de votre douleur qu’il faut vous occuper maintenant que des moyens d’en tarir la source. Vous ne devez plus aucuns ménagements à votre époux ; il s’est rendu indigne même de votre pitié ; une vengeance éclatante est ce qui convient à la justice de votre cause et à la noblesse de votre caractère : ce moyen s’offre ici naturellement,