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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 2, 1797.djvu/302

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est-il rien au monde qui prouve mieux combien nous sommes faits l’un pour l’autre ?… Volons ; la foule s’assemble ; nos sœurs vont arriver aux pieds de l’échafaud ; allons jouir de leurs derniers instans. Nous louons une croisée ; à peine y sommes-nous, que nos victimes s’approchent. O Thémis ! m’écrié-je, que tu es aimable de servir ainsi nos passions. Alexandre bandait, je le branle ; il me rend le même service ; et nos lunettes, braquées sur le cou pris de nos deux putains, nous nous arrosons mutuellement les cuisses de foutre, au même instant où les tristes jouets de notre scélératesse expirent par nos soins de la plus cruelle des morts. Voilà, me dit Alexandre, de véritables plaisirs ; je n’en connais pas au monde de plus vifs. Oui, dis-je. Ah ! si pourtant il en faut de tels à notre âge, qu’inventerons-nous donc, quand les passions éteintes rendront les stimulans plus nécessaires ? Ce que nous pourrons, me dit Alexandre ; mais, dans l’incertain espoir d’exister, n’ayons pas la folie de ménager nos plaisirs, ce serait une extravagance. Et ta mère vit-elle, demandé-je à mon cousin ? — Non. — Eh bien, dis-je, tu es donc moins heureux que moi ; la mienne respire, et je vais la finir.