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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 3, 1797.djvu/184

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je n’ai qu’une des parts de la félicité générale je ne suis que comme tout le monde ; si je puis, au contraire, les réunir toutes sur moi, il devient incontestable que me voilà plus heureuse que les autres. S’il y a, je le suppose, dix portions de bonheur dans une société composée de dix personnes, les voilà toutes égales, et par conséquent aucune d’elles ne peut se flatter d’être plus fortunée que l’autre ; si, au contraire, un des individus de cette société parvient à priver les neuf autres de leurs portions de bonheur pour les réunir sur sa tête, assurément il sera véritablement heureux ; car il pourra dès-lors établir des comparaisons qu’il lui était impossible de concevoir auparavant. Le bonheur ne gît pas dans tel ou tel état de l’ame ; il consiste dans la seule comparaison de son état à celui des autres ; et quelle comparaison reste-t-il à faire, quand tout le monde nous ressemble ? Si tout le monde possédait une fortune égale, en serait-il un seul qui osât se dire riche ? — Oh ! madame, je ne comprendrai jamais cette manière d’être heureux ; il me semble que je ne pourrais l’être, moi, qu’en sachant que tous les autres le sont. — Parce que tu es faiblement constituée ; parce que tu n’as que de