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Page:Sade - Les 120 Journées de Sodome, éd. Dühren, 1904.djvu/87

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seulement nous inspirer le sentiment de la pitié, indigne contre les autels qui ont pu nous arracher quelque grain d’encens, notre fierté, et notre libertinage la brise dès que l’illusion a satisfait les sens, et le mépris presque toujours suivi de la haine remplace à l’instant dans nous le prestige de l’imagination. Qu’offrirez-vous d’ailleurs que nous ne sachions par cœur, qu’offrirez-vous que nous ne foulions aux pieds souvent même l’instant du délire ; il est inutile de vous le cacher : votre service sera rude, il sera pénible et rigoureux et les moindres fautes seront à l’instant punies de peines corporelles et afflictives ; je dois donc vous recommander de l’exactitude, de la soumission et une abnégation totale de vous mêmes pour n’écouter que nos désirs, qu’ils fassent vos uniques lois, volez au-devant d’eux, prévenez-les et faites les naître, non pas que vous ayez beaucoup à gagner de cette conduite, mais seulement parce que vous auriez beaucoup à perdre en ne l’observant pas. Examinez votre situation, ce que vous êtes et ce que nous sommes, et que ces réflexions vous fassent frémir. Vous voilà hors de France au fond d’une forêt inhabitable, au-delà de montagnes escarpées dont les passages ont été rompus aussitôt après que vous les avez eu franchis, vous êtes enfermés dans une citadelle impénétrable, qui que ce soit ne vous y sait. Vous êtes soustraites à vos amis, à vos parents, vous êtes déjà mortes au monde et ce n’est plus que pour nos plaisirs que vous respirez, et quels sont les êtres à qui vous voilà maintenant subordonnées ; des scélérats profonds et reconnus qui n’ont de dieu que leur lubricité, de loix que leur dépravation, de frein que leur débauche, des roués sans