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Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/57

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permission de venir demander l’aumône dans leur église. Mais, comme elle avait un peu de jeunesse et de fraîcheur, elle leur donna bientôt dans la vue et, petit à petit, de l’église elle monta dans les chambres, dont elle descendit bientôt grosse. C’était à de pareilles aventures que ma sœur devait le jour, et il est plus que vraisemblable que ma naissance n’a pas d’autre origine. Cependant les bons Pères, contents de la docilité de ma mère et voyant combien elle fructifiait pour la communauté, la récompensèrent de ses travaux en lui accordant le loyer des chaises de leur église ; poste que ma mère n’eut pas plus tôt que, par la permission de ses supérieurs, elle épousa un porteur d’eau de la maison qui nous adopta sur-le-champ, ma sœur et moi, sans la plus légère répugnance. Née dans l’église, j’habitais pour ainsi dire bien plutôt plus l’église que notre maison. J’aidais ma mère à arranger les chaises, je secondais les sacristains dans leurs différentes opérations, j’aurais servi la messe s’il l’eût fallu, en cas de besoin, quoique je n’eusse encore atteint que ma cinquième année. Un jour que je revenais de mes saintes occupations, ma sœur me demanda si je n’avais pas encore rencontré le Père Laurent. “Non, lui dis-je. — Eh bien, me dit-elle, il te guette, je le sais ; il veut te faire voir ce qu’il m’a montré. Ne te sauve pas, regarde-le bien sans t’effrayer ; il ne te touchera pas, mais il te fera voir quelque chose de bien drôle, et si tu te laisses faire, il te récompensera bien. Nous sommes plus de quinze, ici dans les environs, à qui il en a fait voir autant. C’est tout son plaisir et il nous a donné à toutes quelque présent.” Vous imaginez bien, messieurs, qu’il n’en fallut pas davantage non seulement pour ne pas fuir le Père Laurent, mais même pour le rechercher. La pudeur parle bien bas à l’âge que j’avais, et son silence, au sortir des mains de la nature, n’est-il pas une preuve certaine que ce sentiment factice tient bien moins à cette première mère qu’à l’éducation ? Je volai sur-le-champ à l’église et, comme je traversais une petite cour qui se trouvait entre l’entrée de l’église du côté du couvent et le couvent, je rencontrai nez à nez le Père Laurent. C’était un religieux d’environ quarante ans, d’une très belle physionomie. Il m’arrête : “ vas-tu, Françon ? me dit-il. — Arranger des chaises, mon Père. — Bon, bon, ta mère les arrangera. Viens, viens dans ce cabinet, me dit-il en m’attirant dans un réduit qui se trouvait là, je te ferai voir quelque chose que tu n’as jamais vu.” Je le suis, il ferme la porte sur nous, et m’ayant postée bien en face de lui : “Tiens, Françon me dit-il, en sortant un vit monstrueux de sa culotte, dont je pensai tomber à la renverse d’effroi, tiens, mon enfant, continuait-il en se branlant, as-tu jamais rien vu de pareil à cela… C’est ce qu’on appelle un vit, ma petite, oui, un vit… Cela sert à foutre, et ce que tu vas voir, qui va couler tout à l’heure, c’est la semence avec quoi tu es faite. Je l’ai fait voir à ta sœur, je le fais voir à toutes les petites filles de ton âge ; amène-m’en, amène-m’en, fais comme ta sœur qui m’en a fait connaître plus de vingt… Je leur montrerai mon vit et je leur ferai sauter le foutre à la figure… C’est ma passion, mon enfant, je n’en ai point d’autre… et tu vas le voir.” Et en même temps je me sentis toute couverte d’une rosée blanche qui